Oserais-je vous avouer un de mes rêves d’adolescent ? Elle s’appelle Evolena et, dans la bande dessinée de Cosey « A la recherche de Peter Pan », elle est la jeune montagnarde que le héros, Sir Woodworth, surprend en train de se baigner dans un lac d’eau chaude lors d’une randonnée à skis dans les Alpes valaisannes.
J’aime beaucoup les BDs, la mise en page innovante et le coup de crayon de Cosey et en particulier la série Jonathan dont les scénarios se déroulent la plupart du temps dans les montagnes de l’Himalaya. Mais c’est le diptyque « A la recherche de Peter Pan », rare retour de l’auteur adepte des destinations exotiques vers sa Suisse natale, que je préfère. Peut-être à cause d’Evolena, dont je viens d’apprendre qu’elle aurait été inspirée par l’actrice Maria Schneider, partenaire de Marlon Brando dans « Le Dernier Tango à Paris ». Si l’actrice a sans doute donné ses formes à la belle valaisanne, son nom, quant à lui, vient du superbe village d’Evolène, un des plus beaux de Suisse, logé presque au bout du Val d’Hérens.
J’ai visité Evolène cet été. Le village a gardé ses chalets et greniers de bois alignés le long de la route principale ou sur les ruelles qui partent depuis l’église. Ça et là sont aussi posées quelques maisons de pierre, sans doute plus riches, dont les murs sont ornés de jolies peintures.
J’ai encore profité de ces quelques jours d’été pour découvrir les montagnes de la région, marchant le long des bisses – ces petits canaux creusés au flanc de la vallée pour acheminer l’eau – des Mayens de Sion, montant en télécabine jusqu’au sommet de Montfort pour admirer les sommets et les glaciers ou encore me promenant sur la Grande-Dixence, le plus haut barrage poids du monde. Je me réjouis d’y retourner dans quelques semaines pour y goûter aux joies des sports d’hiver.
La bande dessinée de Cosey est une merveilleuse invitation à voyager au Val d’Hérens. Si le récit, comme son titre l’indique, s’inspire bien sûr de Peter Pan de J.M. Barrie, le dessinateur reconnaît aussi avoir emprunté et mélangé quelques bouts de scénarios de deux romans de l’écrivain suisse, Charles Ferdinand Ramuz : “La Grande Peur dans la montagne » et « Farinet ou la Fausse Monnaie ». Ce dernier titre est amusant quand on sait que le visage de Ramuz orne maintenant les billets de 200 francs suisses.
Le personnage de Farinet – qui portera le nom de Baptistin dans la BD de Cosey- reprend le nom d’un faux-monnayeur qui a bel et bien existé dans le Valais de la fin du XIXème siècle. Le héros de Ramuz s’est enfui des prisons italiennes du Val d’Aoste voisin et retourne se cacher sans son Valais natal. Il a trouvé un filon d’or haut dans la montagne et l’exploite pour fabriquer des pièces de vingt francs qui valent plus que la monnaie du gouvernement. Ses pièces sont volontiers acceptées dans la vallée et il est bien accueilli à la table de l’auberge. Mais les gendarmes de Sion ne l’entendent pas de cette oreille. Il est mis en prison et s’échappe grâce à Joséphine, la serveuse de l’auberge qui est amoureuse de lui. Que va-t-il faire? Joséphine lui suggère de s’enfuir avec elle en France vers Chamonix en emportant de l’or. Ou bien se rendra-t-il aux gendarmes, pour passer six mois en prison, et ensuite épouser Thérèse, la jolie fille du président de la commune qui le pousse dans cette direction?
Cette réflexion sur la liberté se retrouve dans « La Grande Peur dans la montagne ». Le conseil communal d’un village décide, jeunes contre anciens, de renvoyer des troupeaux à l’alpage de Sasseneire, où l’on allait plus depuis vingt ans à cause d’une épidémie qui avait terrassé les vaches. Six hommes y montent pour l’été, dont Joseph, qui a besoin de la paie pour pouvoir se marier avec Victorine, qui est restée en bas au village, mais promet de lui rendre visite chaque semaine quand on leur amènera les vivres. Peu à peu, la maladie revient sur la montagne, les événements se précipitent et la peur s’installe. On instaure une quarantaine pour interdire les trajets entre village et alpage, mais Joseph et Victorine veulent passer outre.
Ici encore, il s’agit de liberté face aux édits des gouvernements. Mais plus encore, les hommes peuvent-ils violer sans crainte la montagne insoumise ? De vastes questions à ruminer en contemplant depuis la terrasse les sommets du Cervin, de la Dent Blanche ou du Weisshorn. A moins que mon esprit ne s’évade de nouveau vers Evolena nageant dans les eaux bleues du lac.