La Chine reste un univers difficile à comprendre et à décoder. La barrière de la langue fait que les voyages, même les plus fascinants, donnent parfois l’impression de ne toucher que la surface. Cette même barrière limite aussi l’accès à la littérature chinoise. Dans un précédent article, j’avais décrit « Les Cygnes Sauvages » de Jung Chang, écrit en anglais et relatant avec brio la vie de trois générations de femmes, de la Chine impériale à la période moderne, en passant par les soubresauts de la révolution.
J’ai récemment lu avec plaisir deux romans publiés par des écrivains chinois. Le premier, « Little Gods » est écrit en anglais par Meng Jin, une jeune auteure née à Shangaï, mais vivant aux Etats-Unis. Il n’est malheureusement pas encore traduit en français. Le cœur du roman est la relation entre une mère et sa fille. La mère, Su Lan, donne naissance à sa fille, Liya, dans un hôpital de Pékin pendant les événements de la Place Tian’anmen, alors que les blessés affluent aux urgences. Elle était montée de Shangaï à Pékin pour retrouver son mari, attiré par les changements politiques dans la capitale. Elle perdra sa trace et devra élever seule sa fille. Comme elle est une étudiante brillante, elle obtient une bourse pour étudier la physique aux Etats-Unis. Mère et fille émigrent quand Liya a deux ans. Mais Su Lan ne parvient pas à terminer ses études de doctorat et se révèle être une mère distante.
A sa mort, sa fille retourne à Shangaï, dix-sept ans plus tard, pour mieux comprendre le mystère qu’était sa mère. Le roman nous fait entrevoir le personnage de Su Lan selon trois perspectives : celle de Liya, la fille, celle du mari disparu et celle de Zhu Weng, une femme qui avait aidé la jeune mère à élever sa fille lors de son retour à Shangaï, dans un vieux quartier qui est sur le point d’être démoli quand Liya revient en Chine. C’est un livre complexe et fascinant qui souligne comme il est difficile de saisir les différents ressorts d’une existence humaine, cet amalgame d’ancrages dans le passé et d’aspirations vers l’avenir.
Le second roman est « L’Enfer des Codes » de Jia Mai, le pseudonyme d’un ancien membre des forces armées qui a sans doute travaillé pour les services secrets, qui est maintenant devenu un auteur très populaire en Chine. Il s’agit du premier de ses livres à avoir été traduit du chinois. L’histoire commence vers la fin du 19ème siècle chez les Rong, une famille de marchands de sel du sud de la Chine. L’un des enfants est envoyé étudier les mathématiques à Cambridge. La famille commence à se tourner vers le monde universitaire, occupant plusieurs postes académiques prestigieux. Mais elle n’est pas épargnée par les tragédies, avec plusieurs mères mortes en couches.
Né au début des années 30, Jinzhen est un rejeton illégitime qui a aussi « tué » sa mère lors de sa naissance, à cause de sa tête trop large. Il est ignoré par toute la famille, mais est recueilli par Mr Auslander, un européen, qui habite dans leur domaine et découvre puis encourage son extraordinaire don pour les chiffres et convainc le chef de famille de le réintégrer et de financer ses études. A l’université il devient le disciple d’un professeur juif Polonais, Jan Liseiwicz qui l’initie aux mathématiques les plus avancées. Mais très vite, l’élève dépasse le maître, jusqu’à ce qu’un officiel du parti communiste ne vienne, presque de force, le chercher en 1956 pour travailler au sein de la très secrète unité 701. Rong Jinzhen devient un héros lorsqu’il déchiffre les codes secrets d’un pays ennemi, avant d’échouer dans son prochain défi. Même si le livre a été décrit comme un roman d’espionnage, il n’a rien d’un thriller. Il s’agit plutôt d’une réflexion sur l’écart parfois ténu qui existe entre génie et folie.