Nous venions de débarquer de l’aéroport de Savannah en Géorgie et le chauffeur du taxi qui nous emmenait vers le bed & breakfast que nous avions réservé pour le week-end nous accueillit en interprétant « Georgia on my Mind », la célèbre chanson de Ray Charles. Le chanteur, natif de l’Etat, avait refusé en 1960 de se produire devant un auditoire dont le public noir était exclu. Depuis, signe du chemin parcouru, cette chanson est devenue l’hymne officiel de la Géorgie.
Savannah, une des rares villes du Sud qui n’a pas été détruite par les troupes de l’Union du Général Sherman après la Guerre de Sécession, a gardé son charme un peu suranné. Ses avenues ombragées par des arbres d’où pend de la « mousse espagnole » débouchent sur des squares dominés par des imposantes demeures patriciennes.
Un de ces maisons, la Mercer Williams House, est au cœur du livre de John Berendt « Minuit dans le Jardin du Bien et du Mal (Midnight in the Garden of Good and Evil) ». Le livre est un amalgame très bien réussi entre roman et reportage. Le récit suit les faits réels qui ont conduit aux multiples procès du propriétaire de la maison, l’antiquaire Jim Williams, accusé d’avoir tiré à bout portant et tué son amant Danny Hansford. Il plaide la légitime défense, mais il semble pourtant que les lieux du crime aient été « mis en scène » avant l’arrivée de la police.
Au-delà des péripéties des quatre procès qui se termineront par un acquittement, c’est tout le monde parfois burlesque, parfois tragique de Savannah que John Berendt fait vivre dans son livre : les réceptions données par Jim Williams dans sa demeure, auxquelles se presse toute la bonne société, même si certains regardent de haut ce parvenu qui n’est même pas né dans la ville, les tournées de la pianiste Emma Kelly, qui maitrisait un répertoire de 6000 chansons, les excentricités sulfureuses de la flamboyante « Lady Chablis », une danseuse transgenre ou encore les rencontres nocturnes dans le cimetière avec Minerva, la préparatrice de concoctions tirées de la spiritualité Hoodoo, inspirée d’Afrique de l’Ouest et transmise par les descendants d’esclaves.
Dans le Hoodoo, la demi-heure avant minuit est propice à la bomme magie, tandis que celle qui suit les douze coups de l’horloge est réservée pour la magie maléfique. Jim Williams a recours aux services de Minerva pour essayer d’influencer les jurés et témoins lors du procès. Cette balance entre le Bien et le Mal donne son titre et sa couverture à ce livre fascinant, adapté au cinéma par Clint Eastwood dans un film brillant qui réunit John Cusack et Kevin Spacey.