Hyde Park, Chicago: Ravelstein par Saul Bellow

“You don’t easily give up a creature like Ravelstein to death.”

“Il n’est pas facile d’abandonner une créature telle que Ravelstein à la mort”. C’est ainsi que se termine le roman éponyme de Saul Bellow.

J’étais étudiant à l’Université de Chicago sur le campus de Hyde Park dans le South Side de la ville, lorsque le livre est paru en 2000, suscitant une vive controverse. Le personnage de Ravelstein était visiblement inspiré du critique littéraire Alan Bloom, collègue de Bellow au « Committee of Social Thought » de l’Université. Le livre ne faisait pas mystère de l’homosexualité et du SIDA de Bloom qui n’avaient pas été révélés de son vivant.

Saul Bellow

Le roman de Bellow décrit Hyde Park sans vraiment le nommer. Mais on y reconnait les rives du lac Michigan, les perruches en liberté et les neiges précoces de l’automne. J’étais récemment à Hyde Park pour célébrer la mémoire d’un autre géant du monde académique américain, l’économiste Gary Becker. Lorsque, avec tous ses anciens étudiants présents, je suis sorti pour une photo commémorative, de légers flocons de neige tombaient en cette fin octobre.

Gary Becker

Je suis revenu plus de dix ans en arrière. Me rappelant les heures passées dans la bibliothèque à résoudre les exercices hebdomadaires imposés par Becker dans son cours de « Price Theory ». La bibliothèque, sans doute le bâtiment le plus laid dans un campus au charme néo-gothique, construit à côté de l’endroit où eut lieu la première réaction nucléaire contrôlée en 1942, fermait à une heure du matin. Heure à laquelle notre « study group » était loin d’avoir trouvé une solution aux problèmes posés. Dans ce groupe, j’étais le plus largué. Ce furent des heures d’échec et de doutes.

Quelques années plus tard, patience et ténacité de ma part et les qualités humaines de Becker, devenu mon directeur de thèse, m’offraient des perspectives plus prometteuses.

Le personnage de Ravelstein, merveilleusement peint par Bellow, est une figure imposante, menant une vie flamboyante à Chicago ou dans les hôtels de luxe parisiens, vivant entouré d’une cour de disciples, allant jusqu’à suggérer lesquels parmi ses étudiants devaient former des couples.

Becker, un des noms les plus prestigieux des sciences sociales était tout le contraire. Attentif, encourageant, il avait toujours du temps pour ses étudiants. Je me souviens de ses invitations à le rejoindre au «Faculty Club » pour déjeuner avec les orateurs du séminaire hebdomadaire qu’il organisait ou du dîner donné chez lui chaque année pour les participants de ce séminaire.  Une anecdote d’Iván Werning, l’assistant de cours chargé de corriger nos travaux pratiques, illustrera l’ambiance et le personnage : invité à dîner pour la première fois par les Becker, il laissera tomber la bouteille de vin qu’il avait apporté sur le seuil de leur maison, éclaboussant le pantalon du Prix Nobel. Confus, il ne désirait qu’une chose, disparaître. Mais Gary Becker alla chercher de quoi éponger le vin et ramasser les débris, pendant que sa femme Guity s’occupait d’accueillir et de mettre à l’aise leur invité.

13 Oct 1992, Chicago, Illinois, USA — Economist and Sociologist Gary Becker at Home — Image by © Ralf-Finn Hestoft/CORBIS