Depuis quelques années, je fais quelques voyages rapides et ponctuels vers Haïti. Mes visites sont limitées à Port-au-Prince, la capitale, mais le choc culturel offert par cette ville située à juste un peu plus d’une heure de vol de Miami est si fascinant que j’aimerais pouvoir découvrir davantage le pays. J’aime l’ambiance des restos, comme la Brasserie Quartier Latin, où il fait bon siroter un rhum punch en profitant d’une scène musicale variée et talentueuse.
« Les Comédiens » de Graham Greene est le premier livre qu’on m’a conseillé et que j’ai lu sur Haïti. J’aime beaucoup cet écrivain et j’ai adoré ce roman qui met en scène un trio d’expatriés mêlés à des trafics d’armes, des complots politiques et des aventures extra-conjugales durant les heures les plus noires de la dictature Duvalier et de ses tristement célèbres Tontons Macoutes. Comme souvent avec Graham Greene, qui affectionne les personnages mis en échec, on peut lire le roman à deux niveaux : celui du thriller proprement dit, et celui, au second degré, de la réflexion que les personnages portent sur eux-mêmes.
Autant j’aime Graham Greene, autant je voulais aussi découvrir le pays à travers le regard d’un romancier haïtien. Dany Laferrière est un écrivain haïtien et québécois. Il a récemment fait son entrée à l’Académie Française. Le roman au titre accrocheur qui l’a fait connaître, « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer », se passe essentiellement au Québec. Mais il a depuis publié plusieurs récits où il se remémore son enfance et sa jeunesse à Haïti. « L’odeur du café » est le premier de cette série. J’ai lu avec beaucoup de plaisir cette collection de courtes histoires qui s’enchaînent avec un charme simple et se passent à Petit-Goâve, une petite ville pas trop loin de Port-au-Prince. Quand il avait dix ans, l’auteur y a vécu avec sa grand-mère, Da, qui s’asseyait à l’ombre de la galerie devant sa maison et offrait un café aux gens qui passaient. On y découvre la vie de ce bourg côtier, ses histoires de familles, ses histoires de vaudou. Et on y grandit avec ce garçon qui aime assister aux matchs de foot sans payer, rentre en cachette le soir dans son école pour piéger son professeur mais se fait pincer et, pour la première fois, tombe amoureux de la belle Vava.
Dans « Le goût des jeunes filles », Dany Laferrière se souvient de ses quinze ans et du week-end durant lequel il dut se réfugier dans un appartement en face de chez lui, à Port-au-Prince, alors qu’il se pensait poursuivi par un Tonton Macoute. Le flat sert de base arrière pour un groupe de jeunes filles un rien plus âgées que lui. Pasqualine, Marie-Michèle, Miki, Choupette et les autres viennent de toutes les couches de la société haïtienne, filles des bidonvilles ou de la très exclusive bourgeoisie de Pétionville. Dans l’appartement, elles n’arrêtent pas de se crêper le chignon, mais le soir, elles s’unissent pour écumer les bars et les boîtes de la ville, et faire tourner les hommes – respectables hommes mariés ou jeunes voyous – autour de leur petit doigt. Le jeune garçon observe ébahi ce manège ne sachant trop si les filles sont à plaindre ou à envier, jusqu’à ce que lui-même soit entraîné à goûter au charme d’une d’entre elles.