Saint-Malo et Combourg, Bretagne : « Mémoires d’Outre-Tombe » par François-René de Chateaubriand et « Toute la lumière que nous ne pouvons voir » par Anthony Doerr.

Ma première visite à Saint-Malo remonte au temps, déjà assez lointain, où j’étais chef de patrouille chez les scouts. Nous avions commencé notre « hike », une marche de trois jours, au Mont Saint-Michel. Ensuite, les chefs nous avaient fixé un itinéraire breton comprenant Saint-Malo, Dinard, Dinan et Combourg. J’avais déjà étudié quelques passages de Chateaubriand (1768-1848) dans mes classes de français et je ne résistai donc pas au plaisir de marcher sur la plage à marée basse pour voir le Grand Bé, la presqu’île au large de la cité malouine sur laquelle l’auteur des « Mémoires d’Outre-Tombe » a choisi d’être enterré.

La Tombe de Chateaubriand, Grand Bé, Saint-Malo

Ensuite, avec ma patrouille, nous nous sommes rendus au port de plaisance de Saint-Malo. Les règles du hike chez les scouts sont claires : pas d’auto-stop. Mais pour le « voilier-stop », c’est sujet à interprétation. Nous avons donc trouvé un plaisancier sur le point de quitter le port qui eut la gentillesse de nous prendre à bord de son bateau pour rejoindre Dinard, de l’autre côté de l’embouchure de la Rance, nous épargnant plus de deux heures de marche. Notre capitaine n’hésita pas à nous mettre à contribution et ce fut une de mes premières expériences à bord d’un voilier.

Quelques jours plus tard, en arrivant à Combourg, nous marchions le long des murs du château où François-René de Chateaubriand, le chef de file du romantisme français, passa sa jeunesse. Le château se visite, mais la caisse de patrouille ne nous permettait pas cette dépense. Je me suis alors permis d’entraîner mes compagnons à franchir le mur d’enceinte de la propriété, pour nous promener dans le superbe parc et admirer de loin les murs de ce château à l’allure austère. Dans ses mémoires, celui que ses contemporains appelleront « L’Enchanteur », écrit que « C’est dans les bois de Combourg que je suis devenu ce que je suis ».

Château de Combourg

J’ai longtemps été fasciné par le personnage de Chateaubriand, notamment suite à l’adaptation télévisuelle de « Mon dernier rêve sera pour vous » le roman biographique dans lequel Jean d’Ormesson raconte la vie mouvementée du Vicomte, en privilégiant l’angle de ses aventures sentimentales. Mais ce n’est qu’il y a quelques mois que je me suis décidé à lire l’ensemble des « Mémoires d’Outre-Tombe ». Deux volumes de la Pléiade, tout de même ! C’est un voyage fascinant dans une vie qui mêle histoire et politique – de la Révolution française à la Monarchie de Juillet en passant par Napoléon et les Bourbons -, les voyages (en Amérique et en Orient), la littérature et les passions amoureuses. Dans cette œuvre monumentale, ce sont les pages sur Combourg qui sont parmi les plus émouvantes. L’épisode de « La Grive », écrit en 1817, près de 30 ans après sa jeunesse en Bretagne, est un des passages les plus célèbres du romantisme, et d’une certaine façon préfigure déjà la fameuse « Madeleine » de Proust.

« Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d’une grive perchée sur la plus haute branche d’un bouleau. A l’instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel. J’oubliai les catastrophes dont je venais d’être le témoin, et, transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j’entendis si souvent siffler la grive. Quand je l’écoutais alors, j’étais triste de même qu’aujourd’hui. Mais cette première tristesse était celle qui naît d’un désir vague de bonheur, lorsqu’on est sans expérience ; la tristesse que j’éprouve actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées. Le chant de l’oiseau dans les bois de Combourg m’entretenait d’une félicité que je croyais atteindre ; le même chant dans le parc de Montboissier me rappelait des jours perdus à la poursuite de cette félicité insaisissable. Je n’ai plus rien à apprendre, j’ai marché plus vite qu’un autre, et j’ai fait le tour de la vie. » (François-René de Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, Première Partie, Livre III, Chapitre I).

Je suis retourné plus tard à Saint-Malo, où Chateaubriand est né et a été enterré, seul, face à l’océan, dans une posture qui ne doit pas déplaire à ce génie que la modestie n’étouffait pas. Mais ce que j’ignorais en visitant cette superbe ville avec ses églises, ses maisons et ses toits d’ardoises bleues regroupés comme dans un cocon de murailles entouré par la mer, c’est que lors d’une féroce bataille entre Allemands et Américains en août 1944, elle fut presque entièrement détruite avant d’être reconstruite.  

La bataille de la libération de Saint-Malo est le point d’orgue du splendide roman « Toute la lumière que nous ne pouvons voir (All the Light We Cannot See) » de l’écrivain américain Anthony Doerr. Ce livre sensible, très bien écrit et construit, a été adapté en série télévisée pour Netflix. C’est l’histoire parallèle de Marie-Laure Leblanc, une jeune française aveugle, dont le père est serrurier au Muséum national d’histoire naturelle à Paris et de Werner Pfennig, un orphelin allemand passionné par les radios et les ondes, qui sera recruté pour devenir ingénieur dans une école hitlérienne. La guerre détermine bientôt leurs itinéraires et les amènent tous deux à Saint-Malo. Marie-Laure a trouvé refuge chez son grand-oncle dans la vieille ville, tandis que Werner cherche par triangulation à identifier la position d’un résistant qui renseigne les Alliés sur les positions allemandes en Bretagne.

Anthony Doerr (2015)

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