L’Arabie Saoudite restait pour moi une énigme, comme un blanc sur la carte du monde. En 1993, j’ai fait un long voyage en Asie, du Yémen à Hong-Kong, mais n’étant ni pèlerin, ni homme d’affaires, je n’avais pas pu obtenir de visa saoudien et avait dû me résigner à prendre l’avion entre Sanaa et Amman.
Ce printemps j’ai donc accueilli avec beaucoup de plaisir l’opportunité d’un voyage professionnel à Riyad. Même si l’essentiel de mon temps fut consacré aux réunions et au travail, j’ai pu découvrir certains aspects de la capitale saoudienne. J’ai visité Diriyah et la forteresse d’At-Turaif, premier siège du gouvernement de la monarchie saoudite. Je m’y suis promené le soir, quand la chaleur sèche était devenue supportable, et j’ai déambulé dans les ruelles étroites de cette citadelle construite en briques de terre, curieux d’en apprendre plus sur l’histoire et la culture du pays. Enfin, lors de ma dernière soirée, je me suis rendu dans le quartier historique d’Al Murabba qui abrite, au centre de Riyad, les palais royaux et le musée national. Sur les places et dans les jardins, les familles étaient heureuses de sortir dans la relative fraîcheur du soir : leurs enfants jouaient au ballon ou apprenaient à rouler à vélo.
J’ai aussi lu le roman « Les Filles de Riyad » par Rajaa Alsanea. Ce livre, très populaire dans le monde arabe, a fait beaucoup de bruit. Décrit un peu trop vite comme la version saoudienne de « Sex in the City », il fut publié à Beyrouth, suscita la controverse dans le Royaume où il circula d’abord sous le manteau ou dans des éditions pirates avant d’être admis en 2008. Pour le lecteur occidental, il est difficile de comprendre ce qui a pu faire scandale dans ce roman drôle qui offre un aperçu à la fois tendre et mordant de la vie amoureuse de quatre jeunes femmes de Riyadh qui se sont connues sur les bancs de l’université et entament le périlleux chemin, entre passion et tradition, qui pourrait les mener au mariage, sinon à l’amour.
Tous les vendredis, une jeune femme envoie un email à une large audience et raconte les espoirs et les déboires de quatre de ses amies issues de la « classe de velours » de la société saoudienne. Sadim pense avoir trouvé le fiancé parfait, mais après avoir cédé à ses insistances et s’être offerte à lui avant le mariage, elle est rejetée comme impure. Elle décide de partir travailler à Londres pour s’éloigner. Gamra, après un mariage arrangé, suit son époux à Chicago où celui-ci étudie. Elle se retrouve seule dans une ville dont elle ignore tout, avant de se rendre compte que son mari y a retrouvé une amante japonaise. Elle doit retourner seule, divorcée et enceinte à Riyad. Michelle, dont la mère est américaine, ne sera jamais acceptée par la famille de l’homme qu’elle aime, de peur qu’elle soit trop « occidentale ». Elle s’en va à Dubaï pour y développer sa carrière. Lamis, étudiante en médecine, semble la plus sage, avant de s’éprendre d’un chiite que sa famille sunnite aura du mal à accepter.
J’ai lu ce roman avec plaisir, curiosité et, sans doute un brin de compassion pour Sadim, Gamra, Michelle et Lamis. Bien sûr, leur vie est plus que confortable. Bien sûr, leurs émois amoureux sont parfois naïfs. Mais jamais je n’ai été tenté de dire « pauvres petites filles riches ». Trouver l’amour n’est facile nulle part, mais semble particulièrement hasardeux dans cette société saoudienne où tradition et modernité ont parfois peine à vivre en harmonie.