Nous étions quatre, jeunes et fringants cinquantenaires, à partir, sacs au dos, pour remonter la rivière Vogna. Nos femmes nous accompagnèrent dans la première partie de la vallée, cheminant de hameaux en hameaux, découvrant les beaux chalets de pierre recouverts d’une façade de balcons en bois, les « lobbias » typiques des habitations Walser. Après le très bel oratoire San Grato de La Peccia, nous embrassâmes nos épouses et abordâmes la partie plus rude et montante de la vallée, inaccessible aux voitures.
Alors que le chemin s’élevait, nous ne croisions quasi personne, franchissant les torrents, contournant des lacs limpides et traversant des alpages avec leurs basses maisons de pierre, la plupart du temps inoccupées. Après avoir longé le Lago Nero, le sentier se perd dans les éboulis, la pente est raide et je perds mon souffle. C’est haletant que j’arrive au Passo del Maccagno à 2493m pour profiter d’une vue splendide depuis la crête qui partage la Valsesia piémontaise et le Val d’Aoste.
Nous sommes redescendus du côté valdôtain par la combe du val de Loo. Le jour touchait à sa fin, un instant nous nous sommes crus observés par des loups, mais en fin de compte nous sommes bien arrivés au refuge agriturismo Blékéné à Obre Loo accueillis en français par Simone, son père et ses deux fils.
Cette marche de deux jours entre amis, ainsi que d’autres promenades plus courtes dans le Valsesia, où beaucoup de villages de montagne sont imprégnés de la culture Walser, ces groupes d’immigrants germanophones venus de Suisse à travers les Alpes s’installer sur les flancs méridionaux du Mont Rose, m’ont fait penser à deux livres de l’écrivain italien Paolo Cognetti.
Dans « Les Huit Montagnes (Le Otto Montagne) », Pietro est un jeune garçon qui vit à Milan avec ses parents. Son père, alpiniste autodidacte, emmène pendant l’été la famille dans un petit village au pied du Mont Rose. Dès qu’il aperçoit la cime blanche au bout de la vallée, Pietro se réjouit. Il va retrouver Bruno, un enfant du village avec qui il part monter le long des torrents. Le père de Pietro les prend tous les deux avec lui pour gravir les glaciers. Le roman de Paolo Cognetti suit cette amitié entre Pietro et Bruno à travers leurs vies d’enfants et puis d’adultes, avec ses hauts et ses bas. Il raconte aussi la relation difficile entre Pietro et son père qui se battait contre les montagnes comme il se battait dans la vie. C’est une histoire simple mais âpre, comme ces montagnes autour du Mont Rose, où le soleil italien se heurte à la rudesse des Alpes. Le roman qui a obtenu le prix Strega en Italie et le prix Médicis étranger, a été transposé au cinéma dans un très beau film des réalisateurs belges Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch.
Pietro et Bruno, dans le roman, unissent leurs forces pour reconstruire une « baita », une bâtisse de pierre d’alpage, telles que celles que nous côtoyions en remontant la rivière Vogna. Dans « Le garçon sauvage (Il ragazzo selvatico) », un récit qui se présente comme autobiographique, Paolo Cognetti se retire dans une de ces habitations sommaires pour plusieurs mois de retour à la montagne, proche des saisons. Peu à peu, il observe la forêt et la vallée, il redécouvre l’enfant qu’il était et, enfin, ce dont il a vraiment envie.
Je conclus ce bref aperçu de la littérature italienne inspirée par les Alpes par « Le Poids du Papillon (Il Peso della Farfalla) », un court mais superbe livre écrit par l’écrivain – et alpiniste chevronné -, Erri De Luca. C’est le récit, qui se lit comme une fable, de la rencontre patiente et respectueuse entre un chasseur qui avance en âge et le mâle dominant mais vieillissant d’une harde de chamois. L’homme et l’animal, grimpent parmi les pierres vers les sommets, s’observent, se sentent et doivent puiser dans leurs ressources les plus profondes avant de se retrouver face-à-face.