Nicaragua : « Le Pays que j’ai dans la Peau » de Gioconda Belli, « Le Sourire du Jaguar » de Salman Rushdie et « Muchacho » d’Emmanuel Lepage.

Le goût de la poésie est profond au Nicaragua, pays où l’âpreté des volcans est adoucie par l’eau des lacs. Lors de notre voyage récent, nous avons visité à León la maison familiale, devenue musée, de Rubén Darío (1867-1916), écrivain et poète considéré comme le père du mouvement littéraire moderniste dans la langue hispano-américaine. Son importance est telle que son nom a été donné à une station de métro à Madrid et une gare à Buenos Aires. Il est enterré dans la très belle cathédrale de la ville. J’ai lu quelques-uns de ces contes et poèmes, mais peut-être à cause de la traduction, je n’ai pas été trop séduit.

Musée Rubén Darío, León

Gioconda Belli a obtenu en 1978 le prestigieux prix Casa de las Américas pour son œuvre poétique. A l’époque elle était en exil au Mexique parce qu’elle faisait partie du Front sandiniste de libération nationale qui s’opposait à la dictature de Somoza. Dans son récit autobiographique « Le Pays que j’ai dans la Peau : Mémoires d’amour et de guerre », cette fille de bonne famille – son grand-père était un ingénieur italien venu travailler à la construction du Canal de Panama – raconte avec une franchise étonnante son parcours révolutionnaire.

Malgré son enfance protégée, Belli se range vite du côté des Sandinistes qui veulent renverser la dictature de Somoza qui étrangle le pays. Sous le couvert d’un travail dans une agence de publicité, elle sert de courrier et organise des rencontres secrètes à Managua entre plusieurs membres de la résistance.  Mais son activité clandestine est découverte et elle doit s’exiler d’abord au Mexique et ensuite au Costa-Rica. Elle reviendra au Nicaragua dans la foulée du triomphe de la Révolution sandiniste de 1979. Pendant un moment elle aura quelques responsabilités politiques, notamment à la radio-télévision, mais bientôt le nouveau régime concentrera le pouvoir aux mains de quelques hommes.

Granada

Elle se consacre alors à la littérature. Son récit autobiographique, publié en 2000, mêle avec bonheur l’histoire politique de la révolution sandiniste avec les soubresauts de sa vie personnelle, y compris amoureuse. Elle quitte son mari trop timide pour un poète, puis s’éprend d’un des chefs de la révolution, qui la délaisse une fois arrivé au pouvoir. Enfin, elle trouve le bonheur et la stabilité auprès d’un journaliste américain. Son livre raconte sans fard ses coups de cœur et décrit bien le mélange de sincérité et de naïveté qui caractérisait la révolution sandiniste, petit poucet qui défiait l’aigle américain.

Cathédrale, León

J’ai lu avec plaisir le livre de Gioconda Belli pendant notre voyage. Ce livre m’a permis de mieux comprendre l’histoire de ce pays superbe et attachant, plein de richesses culturelles et de beautés naturelles. C’est avec tristesse que j’ai appris qu’en 2023, Daniel Ortega, président actuel du Nicaragua et ancien compagnon d’armes de Gioconda Belli, avait décidé de déchoir celle-ci de sa nationalité nicaraguayenne parce qu’elle dénonçait les dérives totalitaires du pays.

« Le Sourire du Jaguar » est le journal de bord de Salman Rushdie lorsqu’il est invité trois semaines en 1986 par le gouvernement sandiniste à visiter le Nicaragua. Ronald Reagan est encore président à Washington et son administration finance les Contras qui tentent de renverser les révolutionnaires en place à Managua. Le célèbre écrivain d’origine indienne voyage aux quatre coins du pays, interroge, et semble prendre le parti des sandinistes, même s’il regrette la censure de la presse. Il rencontre plusieurs poètes, dont Gioconda Belli, et cite leurs textes dans son livre. Comme Belli, il célèbre la beauté du pays et la générosité de ses habitants, mais, par la force des choses, son récit est moins profond et intime.  

Enfin, « Muchacho » par Emmanuel Lepage est une superbe bande dessinée qui illustre aussi la période de la lutte des Sandinistes contre le régime de Somoza. Gabriel est un jeune séminariste, fils d’une famille puissante, arrivant à Jinotega, au cœur de la région productrice de café, pour peindre une fresque dans l’église de la petite ville. Ne quittant jamais son carnet de croquis, il découvre la vie du petit peuple, l’oppression et la violence des militaires. Peu à peu son regard et ses dessins évoluent. Les événements se bousculent et il change de bord.

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