Montréal : “La Grosse Femme d’à côté est enceinte » par Michel Tremblay, « Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer » par Dany Laferrière et « Suzanne » de Leonard Cohen

Nous étions partis de notre hôtel sur le square Philipps vers l’Université Mc Gill. Après une première exploration du campus, nous sommes montés plus haut, grimpant les escaliers qui mènent au point de vue devant le Chalet du Mont-Royal. En cette fin de novembre, au sommet de cette colline qui domine la métropole québécoise, quelques flocons de neige nous accueillirent. Nous avons pris quelques photos pour célébrer notre long week-end de retrouvailles familiales et amicales et avons profité de la vue qui s’étend jusqu’au-delà du Saint-Laurent. Mais mon regard fut aussi attiré par une immense peinture murale sur un immeuble, reproduisant le visage et le célèbre chapeau de Leonard Cohen.

Un rappel que Montréal, la plus grande ville francophone d’Amérique, est aussi une ville bilingue et a vu naître celui qui est pour moi le meilleur auteur-compositeur anglophone. Une des chansons les plus célèbres de Leonard Cohen, « Suzanne » évoque d’ailleurs un amour sans doute platonique ou rêvé qui conduit le chanteur vers le fleuve Saint-Laurent et la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours dans le port.

« Suzanne takes you down to her place near the river
You can hear the boats go by, you can spend the night beside her

(…)

Now, Suzanne takes your hand and she leads you to the river
She’s wearing rags and feathers from Salvation Army counters
And the sun pours down like honey on our lady of the harbor

(…)”

S’il est né dans le quartier anglophone plus chic de Westmount et fut étudiant à McGill, c’est sur le Plateau Mont-Royal sur le Main, le Bouvard Saint-Laurent, près du parc du Portugal, que Cohen acheta une maison qu’il occupait lors de ses retours dans sa ville natale.

C’est vers le même quartier du Plateau que nous sommes redescendus depuis le Mont-Royal. Nous nous y sommes promenés, avons fait les boutiques de seconde main et nous nous sommes réchauffés en buvant un chocolat chaud et dégustant des merveilleux. Nous y sommes retournés le soir pour y retrouver des amis et des cousins.

Le Plateau-Mont-Royal est maintenant un endroit branché, mais il était et reste encore un quartier populaire. Dans son roman « La Grosse Femme d’à côté est enceinte », Michel Tremblay raconte la journée du 2 mai 1942 dans la rue Fabre et ses alentours. La Grosse Femme est en effet enceinte de sept mois et elle doit rester alitée alors que le reste de sa belle-famille profite d’une des premières journées de printemps. Elle n’est pas la seule à attendre un enfant : on en compte sept dans la rue, peut-être parce que les pères de famille peuvent échapper à la conscription militaire. A cette époque, les Québécois n’étaient en effets pas très chauds à l’idée de défendre l’Angleterre, qui les as assujettis, et la France qui ne cesse de les prendre de haut.

Les voisins observent et jasent, les enfants jouent avec le chat Duplessis qui se fait attaquer par un chien. En ce samedi, les hommes boivent, les femmes magasinent et tous se retrouvent au Parc Lafontaine au coucher du soleil. Avant de se rassembler pour un dîner haut-en-couleurs. Le roman de Michel Tremblay est à la fois drôle et sensible, et offre une excellente introduction, grâce aux dialogues truculents, à la richesse du français tel qu’il se parle au Québec. C’est le premier tome des « Chroniques du Plateau-Mont-Royal ».

Toujours sur le Plateau, autour du Carré Saint-Louis, mais un peu plus de quarante ans plus tard, Vieux et Bouba, deux jeunes noirs, l’un fan de jazz, l’autre de littérature, attirent de nombreuses jeunes filles blanches, parmi lesquelles des fraiches étudiantes de McGill, dans leur lit. « Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer » est le premier roman de Dany Laferrière qu’il écrivit dans les années de son arrivée à Montréal après son exil d’Haïti.

J’avais déjà goûté à la plume tendre et pourtant mordante de l’écrivain dans mon article sur Haïti. En lisant sa première œuvre, on mesure le chemin parcouru par le jeune immigré né à Port-au-Prince qui siège aujourd’hui sous la coupole du Quai Conti à Paris et dont la statue se dresse dans les jardins de la Bibliothèque Nationale du Québec, à quelques blocs du Carré Saint-Louis. Au-delà du titre provocateur, le roman offre une fenêtre drôle et féroce sur la société québécoise des années 80, ses inégalités, ses préjugés, mais aussi sur la vie et la culture qui ne cessent de grouiller et de se réinventer sur le Plateau Mont-Royal.

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