Après plus de dix ans, je suis enfin retourné au Japon et j’ai pu y rester un peu plus longtemps que lors de ma première visite. J’y étais à nouveau pour une conférence qui se tenait dans une université située dans le quartier de Roppongi, juste en face du superbe Centre national des Arts de Tokyo.
Après la conférence, j’ai pris le métro vers un autre campus. C’est à l’Université Waseda que s’est ouverte récemment la Bibliothèque Haruki Murakami (ou Waseda International House of Literature) qui rassemble, au sein d’une belle création architecturale, des livres (premières éditions, multiples traductions) et objets personnels (notamment de nombreux LPs vinyls des musiques, surtout du jazz, citées dans son œuvre), donnés par l’écrivain japonais le plus fêté dans son pays comme à l’étranger. J’y ai trouvé, dans la traduction française, le recueil de nouvelles « Des hommes sans femmes » et j’ai choisi de lire sur place « Drive My Car ». Je me suis installé dans un fauteuil en forme d’œuf profond et en un peu moins d’une heure, je me suis plongé dans l’univers de Murakami et de cette histoire dont j’avais déjà vu l’excellente adaptation au cinéma par Ryūsuke Hamaguchi.
Yūsuke est un acteur de théâtre qui aime rouler dans sa Saab 900. Pour des raisons d’assurance, il ne peut plus prendre le volant. Il accepte, d’abord à contre-cœur, de se faire conduire par une jeune fille, Misaki. La conduite de celle-ci est très sûre et il aime les longs trajets durant lesquels il peut répéter les lignes d’Oncle Vania, la pièce de Tchékov qu’il joue le soir au théatre, en insérant une cassette sur laquelle sa femme a enregistré les répliques et laissé des blancs pour son texte. Sa femme est morte, il n’y a pas longtemps. Ils formaient un couple très uni, même si Yūsuke, n’ignorait pas qu’elle lui était parfois infidèle.
Yūsuke et sa conductrice, se mettent peu à peu à se parler de leurs vies respectives. Il cherche aussi à se rapprocher de Takatsuki, un acteur qui fut l’amant de sa femme. Sans révéler ce qu’il sait, il l’invite plusieurs soirs à parler d’elle.
« Drive My Car », le titre de la nouvelle, est emprunté à une chanson des Beatles. C’est aussi le cas de « Norwegian Wood » le titre d’un des romans qui a lancé Murakami (même si dans la traduction française, le titre est devenu « La Ballade de l’Impossible »). Toru Watanabe est un étudiant dans une université qui ressemble à celle de Waseda où Murakami étudia les arts dramatiques. Nous sommes à la fin des années 60, et à Tokyo, comme sur les campus occidentaux, l’heure est à la contestation. La belle, mais timide, Naoko, l’amie de Kizuki, le meilleur ami de Watanabe, aime reprendre « Norwegian Wood ». Ils forment un trio qui semble équilibré.
Pourtant, Kizuki met fin à ses jours. L’événement secoue les deux amis survivants, Watanabe et Naoko, mais contribue aussi à les rapprocher. Ils passent de plus en plus de temps ensemble et le soir où Naoko fête ses vingt ans, ils font l’amour. Peu après, de manière abrupte, Naoko quitte l’université laissant à Watanabe une lettre où elle explique qu’elle est partie se faire soigner dans un sanatorium.
Celui-ci reste à l’université et rencontre Midori, une étudiante dans sa classe d’art dramatique. Autant, Naoko était fragile et peu assurée, autant Midori est extrovertie et confiante. Ils sont attirés l’un par l’autre, mais un jour Watanabe choisi d’aller rendre visite à Naoko dans son sanatorium dans les montagnes proches de Kyoto.
Ce roman nostalgique des années d’étudiant, des premières aventures sexuelles et des événements qui déterminent les trajectoires amoureuses a été adapté au cinéma par le réalisateur franco-vietnamien Tran Anh Hung.
Murakami est une star de la littérature japonaise. Pendant, mon séjour japonais, je lisais aussi le roman « Seins et Œufs » de Mieko Kawakami, une étoile montante des lettres nippones. Connue d’abord pour son blog et comme chanteuse, elle a conduit une série d’interviews avec Murakami, l’interrogeant sur la sexualisation des femmes dans son œuvre.
« Seins et Œufs » était d’abord une nouvelle, que l’auteure, native d’Osaka, a plus tard développé en un roman. En français, il semble que seule la version courte du récit soit disponible. Makiko et Natsuko sont deux sœurs, abandonnées par leur père et élevées par leur grand-mère après que leur mère, une hôtesse de bar, soit morte dans d’un cancer. Dans la première partie du livre, Makiko et sa fille adolescente, Midoriko, arrivent en train d’Osaka à Tokyo où sa sœur essaie de percer dans le monde littéraire tout en travaillant comme bibliothécaire. Makiko, qui comme sa mère travaille dans un bar, cherche des informations sur les options pour se faire refaire les seins. Sa fille, elle, refuse de parler, mais se laisse tenter par les livres qui s’entassent sur les étagères de sa tante.
Dans le deuxième volet, huit ans plus tard, Natsuko a réussi a publié un livre, mais plus que de sa carrière littéraire, elle se préoccupe d’avoir un enfant. Comme elle n’a aucune relation amoureuse depuis plusieurs années, elle se renseigne sur les possibilités de faire appel à un don de sperme. Ce faisant, elle tombe sur une association regroupant des enfants qui ne connaissent pas leurs pères biologiques, parce qu’ils ont été conçus via cette procédure de fécondation où le donneur reste anonyme.
J’ai beaucoup aimé découvrir, à travers « Seins et Œufs », un angle plus féminin de la littérature japonaise, une littérature, qui comme le pays, nous semble parfois toute proche par sa modernité, mais parvient toujours à surprendre.