J’avais vu le Château d’Este et le Duomo. J’avais parcouru la Via Mazzini et la Via Vignatagliata dans l’ancien quartier juif de Ferrare. Je venais de m’arrêter devant la maison de la famille Bassani. Il me restait quelques minutes pour essayer de trouver la tombe de Giorgio Bassani dans le cimetière dont j’apercevais au bout de la rue le portail avec l’étoile de David et les inscriptions en hébreu. Google m’avait dit que le cimetière était ouvert jusqu’à 18h, mais, arrivé un quart d’heure avant, je me retrouvai devant une porte close. En cette chaude soirée d’août, le gardien avait sans doute dû fermer un peu avant l’heure. J’allais continuer mon parcours vers la Chartreuse de la ville, quand une voiture se gara devant le portail un homme en sortit et s’introduisit dans la petite maison à l’entrée. Je fis volte-face et l’interrogeai du regard. Il me fit signe de m’approcher. Il me confirma que je n’avais plus que dix minutes pour la visite, m’expliqua comment me diriger vers la tombe de l’écrivain – à droite et puis tout au fond – et me tendit une kippa noire en papier pour me couvrir.
Je trouvai bien la tombe de Bassani. J’eu ainsi l’occasion de me promener dans ce cimetière qui est en fait un grand jardin enclos au cœur de la ville, avec des arbres centenaires, de larges pelouses, et ça et là, formant comme des grappes, des pierres tombales et des monuments funéraires, certains très anciens, d’autres, moins nombreux, plus récents. Bien sûr, ce jardin et ces murs évoquèrent en moi « Le Jardin des Finzi-Contini », le roman le plus connu de l’écrivain italien. Plus tard dans la soirée, en descendant le Corso Ercole I d’Este depuis la Porte des Anges, je reconnus la porte et les murs devant lesquels, dans le film de Vittorio De Sica adapté du roman, les jeunes joueurs de tennis tout de blanc vêtus arrêtaient leurs vélos avant de rentrer pour participer aux tournois organisé par Micòl et son frère Alberto.
C’est un roman que j’avais lu il y a longtemps et que redécouvrais en version audio au moment de mon passage à Ferrare. Les Finzi-Contini sont une riche et prestigieuse famille de Ferrare qui habite une superbe propriété. Mais en 1938, les lois raciales promulguées par le régime de Mussolini entraînent l’exclusion des juifs de nombreuses institutions officielles, telles que l’université, mais aussi du club de tennis de la ville. Alberto et Micòl Finzi-Contini invitent alors leurs amis, juifs et « gentiles » à les rejoindre dans leur jardin pour continuer à jouer. Georgio y retrouve Micòl, qu’il croisait parfois à la synagogue, et dont il est amoureux depuis que, alors qu’ils étaient encore enfants, elle l’avait invité à franchir le mur de leur domaine.
La relation entre Giorgio et Micòl connait des hauts et puis des bas, alors qu’ils tentent de terminer leurs thèses universitaires, malgré les lois raciales, lui à Bologne et elle à Venise. Ils se retrouvent à Ferrare, dans ce jardin magnifique et fermé qui semble les protéger des troubles extérieurs. Mais pour combien de temps ? Le film se termine avec l’arrestation des Finzi-Contini, tandis que le roman commence par un chapitre sur leur monument funéraire et indique que toute la famille a péri dans les camps d’extermination.
Dans « Le Roman de Ferrare », l’ouvrage de Georgio Bassani qui reprend l’essentiel de son œuvre (y compris « Le Jardin des Finzi-Contini), la nouvelle « Une plaque commémorative via Mazzini » raconte l’histoire de Geo Josz, déporté à Buchenwald, et le seul survivant des 183 juifs ferrarais déportés pendant l’Holocauste. On peut encore voir, au 95 de cette rue, l’adresse de l’ancienne synagogue, les deux plaques qui qui honorent la mémoire de tous les juifs de Ferrare morts dans les camps.