La Nouvelle-Orléans et la Louisiane

Il y a quelques mois j’ai pour la première fois eu l’occasion de visiter la Nouvelle-Orléans et ses alentours en Louisiane. C’est une ville chargée d’histoire, pleine de surprises, très différente des autres métropoles américaines. Connue comme le berceau du jazz, la ville et la région ont aussi inspiré de nombreux chefs-d’œuvre de la littérature. Je vous en propose un bref aperçu à travers cinq livres rythmant l’histoire de la « Big Easy ».

C’est en visitant la Plantation Whitney le long des berges du Mississippi que m’est venue l’idée de lire « Douze Ans d’Esclavage (Twelve Years a Slave) » de Solomon Northup. Le musée de la plantation prend le contrepied des visites classiques qui se concentrent sur la demeure des maîtres de la propriété, une grande maison à l’architecture élégante au bout d’une allée d’arbres centenaires. A Whitney, cette maison existe et est, ma foi, très belle, mais la visite commence par le quartier des esclaves, leur église toute simple et tout blanche, recrée leurs conditions de vie et rend hommage à leur courage et à leurs luttes.

J’ai retrouvé cet esprit dans les mémoires publiés en 1853 de Solomon Northup, cet homme noir, libre citoyen de l’état de New-York, enlevé par des marchands d’esclaves lors d’un séjour à Washington et vendu pour travailler dans les plantations de Louisiane. Il y vivra de longues et pénibles années, passant au gré des ventes d’une propriété à l’autre, sous le joug de maîtres cruels ou d’autres le traitant mieux. Au bout de douze ans, il réussit enfin à transmettre un courrier à sa famille qui parvient à le faire libérer.  Le livre a récemment été adapté dans un film acclamé par la critique et le public.

Le roman « Un grand pas vers le Bon Dieu » de Jean Vautrin qui a obtenu le Prix Goncourt en 1989 nous emmène dans l’univers des bayous et des Cajuns, ces descendants des francophones expulsés du Canada lors des guerres franco-britanniques au 18ème siècle. Le livre fait revivre leur langue truculente et imagée. L’histoire se passe entre 1893 et 1920 et commence à Bayou Nez Piqué avec Edius Raquin, sa femme Bazelle et leur fille Azeline qui refuse toutes les avances des coureurs de jupons de la région, avant de tomber amoureuse de Farouche Ferraille Crowther, un hors-la-loi poursuivi par les chasseurs de primes. La seconde partie du livre suit les aventures de Jim Crowley, le fils conçu par Azeline et Ferraille avant que ce dernier ne doive s’enfuir. Jim est un musicien qui hante les maisons louches de la Nouvelle Orléans dans une ambiance qui évoque « The House of the Rising Sun ».

There is a house in New Orleans
They call the Rising Sun
And it’s been the ruin of many a poor boy
And God I know I’m one

My mother was a tailor
She sewed my new blue jeans
My father was a gamblin’ man
Down in New Orleans

Now the only thing a gambler needs
Is a suitcase and trunk
And the only time he’s satisfied
Is when he’s all drunk

Oh mother tell your children
Not to do what I have done
Spend your lives in sin and misery
In the House of the Rising Sun

(…)

Blanche DuBois représente l’archétype de la « Southern Belle ». Mais dans « Un tramway nommé Désir (A Streetcar Named Desire »), l’œuvre théâtrale la plus célèbre de Tennessee Williams, elle doit quitter la demeure familiale « Belle Rêve » vendue à des créanciers et débarque, poursuivie d’un parfum de scandale, dans l’appartement minable qu’occupe à La Nouvelle-Orléans sa sœur Stella et son beau-frère Stan, un ouvrier polonais. La pièce, une des plus jouées du répertoire américain, suit la descente aux enfers de Blanche jusqu’à son viol par Stan et son internement dans un hôpital psychiatrique. L’adaptation cinématographique a offert à Vivien Leigh et Marlon Brando des rôles mémorables. Entre 1946 et 1947, Tennessee Williams habitait la Avart-Peretti House dans le Quartier Français et y écrivit la pièce qui porte le nom d’un tramway qui parcourait Desire Street dans le Faubourg Marigny. La ligne a malheureusement été remplacée par un bus.

« La Conjuration des Imbéciles (The Confederacy of Dunces) » de John Kennedy Toole est un des livres qui décrit le mieux l’atmosphère particulière de la ville. Ce roman picaresque écrit au début des années 60 ne sera publié que onze ans après le suicide de son auteur en 1969. Il sera couronné du prix Pulitzer à titre posthume en 1981.  Ignatius J. Reilly, le personnage principal, est une sorte de Don Quichotte obèse, à la fois génial mais abjectement misanthrope, réactionnaire, pourfendeur inlassable mais ridicule des travers de son époque. Il entretient une correspondance avec Myrna Minkoff, une étudiante contestataire de New-York : tout semble les opposer, mais pourtant ils ne peuvent pas se passer l’un de l’autre. Le livre réussit le tour de force d’être tout à la fois hilarant et profond.

« The Yellow House » est un livre publié cette année par Sarah M. Bloom. Il n’a pas encore été traduit en Français. Dans ces mémoires, l’auteur décrit le parcours de sa famille sur trois générations à travers l’histoire de la maison jaune dans laquelle elle a grandi avec sa mère et ses nombreux frères et sœurs. Cette maison est située dans un quartier de La Nouvelle Orléans qui semblait prometteur pour une famille noire au début des années 60, mais qui sera vite délaissé par le développement de la ville. Le quartier dépérit, la criminalité atteint la ruelle où la jeune Sarah grandit et finalement, avec l’arrivée de l’ouragan Katrina en 2005, la maison familiale prend l’eau. La famille est dispersée aux quatre coins du pays et malgré les efforts de la maman et de sa fille, la maison est détruite laissant la place à un terrain vague. Sarah s’en va pour étudier, devient journaliste, va travailler en Afrique avant de revenir dans sa ville natale. C’est un livre superbement écrit, qui tour à tour m’a fait rire et m’a ému, un splendide hommage à sa ville et sa famille, loin des parcours et des clichés touristiques.

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