Je vais régulièrement à Oxford pour une conférence académique et j’en profite pour visiter quelques collèges. Saint Catherine’s, là où la conférence est organisée et où je loge, est une belle réussite moderne, mais bien sûr la plupart des autres collèges sont des joyaux d’architecture médiévale, bâtis dans cette belle pierre jaune qui se dore admirablement au soleil. Cette année j’ai découvert avec plaisir Magdalen College à l’entrée de la ville et Exeter College qui offre une vue superbe sur la Radcliffe Camera depuis le Fellow’s Garden.
Les monuments d’Oxford sont aussi célèbres, notamment pour avoir servi de décor à la série de romans policiers écrits par Colin Dexter mettant en scène l’Inspecteur Morse, adaptés en série télévisée. J’ai choisi de lire « Bijoux de Famille (The Jewel That Was Ours) », qui fut d’abord écrit pour la télévision avant d’être transposé et modifié en roman. Un bus transportant un groupe de touristes californiens fortunés et d’un certain âge débarque à l’hôtel Randolph en face du musée Ashmolean. Une des touristes est retrouvée morte dans sa chambre et un bijou de l’époque saxonne qu’elle s’apprêtait à donner au musée a disparu. Deux jours plus tard, le corps du Dr. Kemp, le spécialiste d’archéologie médiévale qui servait de conférencier au groupe et s’apprêtait à recevoir le bijou au non du musée, est retrouvé inerte flottant dans la rivière Cherwell. Morse et son comparse, le sergent Lewis, mènent l’enquête, pensent rapidement démêler l’écheveau d’intrigues et de liaisons dangereuses, avant de se rendre compte qu’ils font fausse route. Un roman très agréable qui m’a par ailleurs poussé à franchir les portes du musée Ashmolean pour y admirer le joyau d’Alfred, la pièce qui a inspiré le titre du roman.
Pour nombre de visiteurs, les collèges d’Oxford évoquent le monde d’Harry Potter. C’est ce qui motive les touristes à faire la queue pour visiter Christ Church où les films de la série ont été tournés. Je confesse ne pas avoir lu les romans de J.K. Rowling.
Au début de ma carrière, j’avais été invité par University College pour un possible recrutement. Je n’avais pas reçu d’offre d’emploi, mais j’avais été convié à dîner par le collège. Après avoir échangé avec des scientifiques de toutes disciplines autour d’un ou deux verres de sherry, le corps professoral pénètre en bon ordre dans le Hall, les étudiants se lèvent, les professeurs se placent autour de la « High Table » et un des étudiants prononce les grâces. Le décorum ne manque pas d’impressionner la recrue potentielle.
Cette vie universitaire qui semble immuable, on la retrouve dans la première partie de « Retour à Brideshead (Brideshead Revisited), un des romans les plus célèbres d’Evelyn Waugh. C’est à Oxford, dans l’entre-deux guerres, que le narrateur Charles Ryder fait la connaissance et se lie d’amitié avec Lord Sebastian Flyte, le fils d’une lignée aristocratique catholique. Charles est invité dans le somptueux domaine de Brideshead où il est introduit au reste de cette famille extravagante. Sebastian se perd dans l’alcool sans que Charles ne parvienne à l’en empêcher et se retrouve, loin de tous, pitoyable, en Afrique du Nord. Plusieurs années plus tard, Charles retrouve Julia, la sœur de Sebastian, sur un transatlantique les ramenant de New York. Tous deux sont mariés de leur côté, mais ils tombent amoureux, divorcent de leurs conjoints et prévoient de se marier. Le retour à Brideshead de Lord Marchmain, le père de Sebastian et Julia qui avait mené jusque-là une vie dissolue en Italie avec sa maîtresse, interrompt ce projet. Le père de famille, à l’article de la mort, renoue in extremis avec sa foi catholique, ramenant sans le savoir sa fille dans « le droit chemin ». Un très beau roman sur l’amitié, l’amour et la rédemption. Des thèmes qui peuvent sembler un rien surannés, comme les collèges d’Oxford, mais qui néanmoins gardent leur force d’émotion grâce à l’écriture d’Evelyn Waugh (et l’interprétation de Jeremy Irons dans la version livre audio en anglais que j’ai écoutée). Le livre a connu deux adaptations que je prévois de voir, d’abord pour la télévision et ensuite pour le cinéma.
Dans « The Last Enchantments », qui ne semble pas être disponible en français, Charles Finch nous ramène dans le présent et nous raconte l’année à Oxford de Will Baker, un étudiant de second cycle américain, une expérience que lui-même a vécue. Le roman décrit avec bonheur les découvertes des premiers mois, les habitudes parfois bizarres de la vie dans les collèges, les nouvelles amitiés, les multiples tentations amoureuses malgré la petite amie restée outre-Atlantique. A la fin, Will hésite entre une fellowship à Oxford, un job dans la City de Londres ou un retour vers une carrière dans le monde de la politique aux Etats-Unis. Son année à Oxford semble avoir été comme une dernière parenthèse de liberté et d’enchantements avant le saut dans la vie professionnelle. Ayant été moi-même un éternel étudiant, je me suis retrouvé avec plaisir dans cette dernière hésitation entre la vie professionnelle et le monde universitaire.