Les premières heures de ma courte visite en El Salvador furent baignées dans des lumières splendides. D’abord le lever du soleil qui éclaboussait les lacs et les volcans à l’atterrissage. Et puis, environ une heure plus tard, dans l’Eglise du Rosario sur la Plaza Liberdad du centre historique de la capitale, San Salvador. L’extérieur de cette église moderne construite dans les années 60 est assez moche : une sorte de bunker au toit arrondi. Mais une fois à l’intérieur, les effets de lumière sont époustouflants grâce aux vitraux insérés dans la courbe de la toiture. Le bleu, l’orange et le jaune dominent dans le tapis lumineux qui rayonne et enflamme cette église au style dépouillé construite en arc-de-cercle autour de l’autel pour une liturgie au milieu du peuple.
L’église contient aussi un bas-relief représentant Oscar Romero, l’archevêque de San Salvador, défenseur des droits de l’homme, assassiné en 1980 par la dictature, alors qu’il disait la messe. Il vient d’être canonisé par le Vatican et on peut s’incliner devant sa tombe dans la crypte de la cathédrale métropolitaine de l’autre côté de la place. Romero est né dans une famille modeste et a gravi patiemment les échelons de la hiérarchie catholique. Au début, il prenait des positions conservatrices qui plaisaient au pouvoir. Mais l’assassinat par un escadron de la mort d’un père jésuite qui était son ami le révolte et l’amène à dénoncer les violations des droits de l’homme et la pauvreté dans laquelle vit l’immense majorité de la population.
D’une certaine façon, ce changement d’attitude fait penser aux deux héros du roman d’Horacio Castellanos Moya « Tirana Memoria » que j’ai lu en anglais sous le titre de « Tyrant Memory » et qui ne semble pas traduit en français. Périclès est un fils de colonel qui fera une école d’officiers avant de servir comme diplomate et secrétaire d’un dictateur sanguinaire. Mais alors qu’il partage les derniers instants d’un révolutionnaire promis au peloton d’exécution, celui-ci lui dit : « Vous deviendrez l’un des nôtres ». Et en effet, Périclès quitte le service du pouvoir, écrit dans un journal d’opposition et, quand il n’est pas en prison ou en exil, soutiendra de plus en plus la cause de la révolution.
Sa femme, Haydée, est la fille d’un grand propriétaire terrien. Le roman est construit autour de son journal où tous les soirs elle couche ses souvenirs et ses émotions. Au départ ses préoccupations sont celles d’une femme du beau monde : réceptions, tenues, politesses à rendre. Mais quand son mari est emprisonné et que son fils doit s’enfuir suite à un coup d’état manqué, elle se joint aux groupes des femmes de prisonniers et gagne peu à peu en courage allant jusqu’à organiser des rencontres secrètes pendant les messes pour récolter des fonds et les transmettre aux étudiants grévistes.
L’évolution d’Haydée est à l’opposé de celle Laura Rivera, l’héroïne de « La Mort d’Olga Maria » un autre roman d’Horacio Castellanos Moya. Quand Laura apprend l’assassinat de sa meilleure amie Olga Maria par une sorte de robocop qui pourrait être lié à la police, elle perd la tête et entre dans une spirale où toutes ses certitudes de grande bourgeoise salvadorienne sont broyées : ses contacts au plus haut niveau du pouvoir, ses nombreuses liaisons qui s’entremêlent avec celles de sa chère amie Olga Maria, la fortune de sa famille. Ce fracas est raconté avec un humour et une verve jubilatoire par un écrivain qui connaît les travers de son pays, a lui-même connu l’exil, mais ne cesse pourtant de lui rendre hommage.