Alpes autrichiennes: Une vie entière (Ein ganzes Leben) par Robert Seethaler

Une vie entière et toute simple. Et presque entièrement vécue dans une vallée des Alpes autrichiennes. C’est le récit de l’existence d’Andreas Egger racontée par l’écrivain et acteur autrichien Robert Seethaler en quelques 150 pages sobres et puissantes dans « Une vie entière (Ein ganzes Leben) ».  Enfant du péché, le jeune Andreas arrive en 1902 à quatre ans de la ville dans une ferme où il est accueilli par le beau-frère de sa mère. Il est le souffre-douleur du fermier qui le bat sans retenue et sans raison au point de lui briser la jambe et de le faire boiter à vie.

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Homme de peu de mots et sans éducation, mais force de la nature, il quitte la ferme à dix-huit ans et se met à travailler pour les compagnies qui installent les pylônes des téléphériques dans les vallées. Un soir, ses collègues l’aident à allumer des flambeaux au flanc de la montagne pour former dans la nuit les lettres « Pour toi, Marie ». C’est ainsi qu’il déclare son amour à sa femme avec qui il ira s’installer dans un petit chalet, haut dans les alpages. Une nuit, alors qu’il est sorti, une avalanche emporte sa maison, sa femme et l’enfant qu’elle attendait.

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La guerre arrive. Malgré son infirmité et son âge, Egger finit par être enrôlé dans la Wehrmacht sur le front de l’Est. Seethaler ne consacre que quelques pages à ce long intervalle de deux mois de combats suivi de six années dans un camp de prisonniers en Russie. Une scène cependant m’a marquée. Une nuit, alors qu’Egger est placé comme sentinelle isolée aux avant-postes, il est réveillé par un bruit, sort de sa tente et s’assied sur un rocher. Il pressent que quelqu’un est là. Eclairé par les premières lueurs du jour, il commence à deviner la présence muette d’un soldat russe, à trente mètres en face de lui, de l’autre côté du ravin. Le russe tient son arme en bandoulière, la main sur la crosse. Dans le silence du matin, leurs yeux se croisent. Egger se lève, le russe fait demi-tour et disparait derrière les rochers.

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De retour dans sa vallée, le monde a changé. On a plus besoin de lui pour planter les pylônes au flanc des montagnes. Les petits villages alpestres s’ouvrent au tourisme d’hiver et d’été. Andreas Egger devient guide de randonnée. Il ne quittera plus son village et ses montagnes qu’à une occasion, lorsque déjà vieillissant, il montera dans un bus, descendra au terminus sans savoir où diriger ses pas et sera raccompagné au village par le chauffeur attentif et compréhensif.

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J’ai lu ce court roman, un petit bijou sans fioritures sentimentales, pendant une semaine de vacances avec un groupe d’amis, au bord du Grundlsee. Depuis de nombreuses années, nous nous retrouvons dans cette région pour partager des promenades autour des lacs et dans les montagnes, nous arrêter pour déjeuner ou boire une bière après la marche dans un « alm », un restaurant d’alpage. Quelques soirs nous descendons à Salzbourg pour un concert.  Nous avons commencé ces vacances avant de nous marier, avons continué avec les bébés. Les enfants ont grandi, sont devenus adolescents et bientôt adultes.

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Nos vies ne sont en apparence pas aussi simples, et certainement moins rustiques, que celle d’Andreas Egger. Mais le temps d’une semaine, la beauté des lacs et des alpages autrichiens, l’attrait de la musique et la force tranquille de l’amitié nous offrent une parenthèse aussi profonde et entière que le merveilleux livre, plein de sagesse et de poésie de Robert Seethaler.

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