En ces jours d’élections aux Etats-Unis, il est de bon ton dans les cercles éclairés de critiquer ou de regarder de haut les électeurs qui vont voter pour Donald Trump. En Virginie, l’état où j’habite, les voix des 13 électeurs qui représenteront l’état au Collège électoral, devraient sans doute aller dans la colonne d’Hillary Clinton. Cet état, dont la capitale Richmond fut le siège de la Confédération des Etats du Sud pendant la guerre civile, fut longtemps un « red state », c’est-à-dire un état où les Républicains avaient traditionnellement la majorité. Mais depuis 2008 et la victoire de Barack Obama, la Virginie est devenue bleue, donc démocrate.
Ce changement est dû essentiellement à la croissance démographique des faubourgs de Washington, dans le nord de l’état, où s’établit une classe moyenne aisée et éduquée. Loin du comté de Floyd, dans le sud-ouest de l’état, au pied des Blue Ridge Mountains où je m’arrêtai pour la nuit après avoir déposé mon fils sur son campus universitaire à la fin de cet été. Le comté de Floyd a voté républicain à la présidentielle de 2012, et il est probable qu’il fera de même cette année.
En rentrant dans le « country store » de la petite bourgade de Floyd pour y assister au « Jamboree » du vendredi soir, je fus un peu décontenancé de voir un des guitaristes arborer un t-shirt au nom de Trump. Mais j’oubliai vite ma surprise et me laissai prendre par l’ambiance : une heure de gospel avant que jeunes et vieux, locaux et visiteurs ne se mettent d’abord à taper du pied et puis à danser sur le rythme de l’orchestre de Blue Grass. Les couples se formaient et se défaisaient, les talons frappaient le sol en bois, une jeune fille virevoltante venait inviter sa grand-mère à danser avec elle. Dehors, dans la grand-rue, les petits orchestres de passionnés, quelques chaises, un ou deux violons, une contrebasse, attiraient les passants et faisaient danser les enfants.
Le lendemain matin, après un tour au marché des produits locaux, les rues de Floyd accueillaient un défilé de vieux tracteurs : les John Deere et les Masey-Ferguson, souvent portant le drapeau américain, parfois le confédéré, tiraient des remorques et passaient sous les applaudissements des badauds.
Je décidai de remonter vers le Nord en empruntant la Blue Ridge Parkway, la route de crêtes construite dans les années 30 dans les Blue Ridge Mountains de Virginie et Caroline du Nord. Des heures de conduite au calme, découvrant à chaque tournant ou point de vue un nouvel horizon de vallées se perdant au loin, se couvrant de leurs apaisantes couleurs bleues dans la brume du matin ou à l’ombre des nuages. De nombreux arrêts pour jouir de la vue, visiter un vieux moulin à eau, se promener le long des écluses aux côtés de la James River. Et une montée à pied de deux heures pour admirer le coucher du soleil au sommet de Sharp Top avant de tomber lors de la descente nez à nez avec un cerf de Virginie.
Les Blue Ridge Mountains c’est aussi l’Ithaque du splendide « Retour à Cold Mountain » de l’écrivain Charles Frazier, natif d’Ashville en Caroline du Nord, qui a retracé l’histoire de son arrière grand-oncle. Inman, qui a du s’engager dans les rangs de la Confédération pour combattre dans une guerre à laquelle il ne croit pas, gît blessé dans un hôpital de guerre. Une fois rétabli, il déserte pour rentrer à pied vers ses montagnes natales. Une longue route semée d’embûches dans un pays où déjà s’annonce la défaite et où les milices, entre deux pillages, pourchassent les déserteurs.
Mais la marche d’Inman est guidée par l’espoir de retrouver Ada, la fille du pasteur Monroe, venue de la ville pour aider son père à se soigner au bon air des montagnes. Inman et Ada ne se sont croisés que quelques fois, furtivement, avant que la guerre n’éclate. Le pasteur est mort et Ada se retrouve seule, fille de la ville, plus à l’aise au piano que dans l’étable, pour gérer la ferme que lui a laissé son père. Elle décide pourtant de rester, conquise par la beauté des lieux et peut-être pour attendre Inman.
Comme dans une danse qui commence en douceur, le roman alterne les chapitres. Il raconte l’odyssée d’Inman qui remonte péniblement vers les montagnes de son enfance, marchant de nuit et se cachant le jour pour éviter les poursuites et franchir les obstacles. Il passe ensuite au chemin intérieur qu’avec l’aide de Ruby – une fille de la campagne qui est venue lui offrir ses services – Ada parcourt pour devenir peu à peu maîtresse de sa ferme et de son destin.
Ada et Inman se retrouveront et s’uniront pour un court instant dans les montagnes recouvertes de neige, avant qu’Inman ne soit tué par les milices. Ce superbe roman a été adapté au cinéma dans un film du même nom avec Jude Law, Nicole Kidman et Renée Zellweger dans les rôles d’Inman, Ada et Ruby.
Un des personnages les plus intéressants du roman est celui de Stobrod, le père alcoolique et abusif de Ruby. Ayant lui aussi déserté, il erre dans les montagnes et vole du maïs dans la ferme où travaille sa fille. Ruby et Ada choisissent pourtant de l’aider, lui échangeant des vivres contre des soirées au coin du feu pendants lesquelles Stobrod et ses acolytes jouent du violon et du banjo et petit à petit affinent leur jeu et créent un style original.
Voilà qui nous ramène à Floyd et au Blue Grass, la musique des Appalaches du Sud, une région qui souffre économiquement, dont l’âme est encore marquée par la défaite du Sud il y a plus de 150 ans, mais qui est fière de son histoire, de ses traditions et de ses montagnes, et accueille volontiers le visiteur pour danser au son du « fiddle ».
Merci Damien de partager tes impressions avec nous! Ton experience avec les guitaristes au T-shirt Trump est super belle car elle nous dit qu’au delà de la politique (démocrate, républicaine ou autres) quand on se laisse aller dans l’ambiance de la musique et des connections humaines, on trouve qu’en fait on est tous les mêmes… capables de chanter, danser au rythme de la musique et d’oublier nos divergences qui ne devraient pas nous aliéner. Merci de nous le faire rappeler! J’aurai aimé, danser avec la grand-mère, c’est sûr!
Merci!
PS: Les photos sont aussi belles…
Merci Nono. Oui ce Jamboree à Floyd, était très sympa et m’a fait changer mon point de vue sur l’Amérique rurale qui est trop souvent vue par le prisme de la politique.