Tea time. Servi dans la porcelaine sur la terrasse du bungalow de Viharagala. Au milieu des plantations de thé, adossé à la montagne d’Haputale, c’est l’ancienne résidence des propriétaires anglais. La vue est somptueuse, elle accroche les orchidées du jardin, elle descend le long des montagnes qui bleuissent dans le couchant, elle embrasse les plaines brûlantes jusqu’à la mer. Il semblerait qu’en quelques coups d’aile on pourrait atteindre les plages de l’Océan Indien.
Sur la carte, les distances sont courtes au Sri Lanka. En pratique, les routes sont étroites, sinueuses et longues. De jour, il faut patienter derrière les bus et les camions, ou s’arrêter pour laisser défiler une procession hindoue ou bouddhiste. De nuit, il faut parfois zigzaguer entre les éléphants. Pas étonnant qu’un réseau de « resthouses » se soit développé pour accueillir les voyageurs pour un déjeuner, une sieste, voire la nuit.
Certaines de ces resthouses n’ont sans doute pas beaucoup changé depuis l’époque où le père de Michael Ondaatje s’y arrêtait. Dans « Un air de famille », Ondaatje raconte comment une longue rivalité entre sa famille et celle de dignitaires ceylanais prit sa source dans le « Visitors’ book » d’une de ces auberges. Sammy Dias Bandaranaike et le père d’Ondaatje passèrent la nuit dans la même « resthouse ». Bandaranaike écrivit dans le livre d’or une longue diatribe critiquant le service, les cocktails mal préparés, le riz mal cuit et les lits inconfortables. En quittant quelques instants plus tard, Ondaatje père se fendit d’un court « Pas la moindre réclamation. Pas même concernant Mr. Bandaranaike ». S’en suivit une joute littéraire de plusieurs mois par commentaires dans les « Visitors’ books» interposés. Une joute publique puisque tout le monde qui comptait à Ceylan s’arrêtait dans ces auberges et y feuilletait les livres d’or.
Cette anecdote est une des nombreuses qui émaillent ce livres de souvenirs de famille. Lors d’un retour au Sri Lanka après plusieurs années au Canada, Michael Ondaatje y raconte les personnages haut-en-couleur de sa famille de « Burghers », descendants des colons hollandais, mêlés au fil des générations de sang cinghalais ou tamoul. De ces familles dont les stèles funéraires et les tombes entourent l’ancienne église réformée hollandaise du vieux fort de Galle.
Derrière ce retour aux sources et ce pèlerinage vers les maisons et plantations de son enfance, les fleurs, les pluies, les serpents, c’est, en filigrane, à une quête du père que nous invite Ondaatje. Ce père, flamboyant alcoolique dont on lui a raconté les faits d’armes, mais qu’il n’a jamais vraiment connu.